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Tourner au cœur de la réalité



Comment aborder un rôle avec réalisme au cinéma ? C'est une question que se posent de nombreux acteurs et actrices qui cherchent à donner de la profondeur et de la crédibilité à leurs personnages. Le réalisme n'est pas une simple affaire de décor, de costume, ou de maquillage : il implique aussi un travail sur les émotions et une façon particulière de s'investir dans un rôle. Cela passe nécessairement par la rencontre avec un réalisateur qui aura une vision du monde à défendre, ainsi que des partis-pris forts dans sa façon de travailler avec ses comédiens.



Trois réalisateurs majeurs à connaitre


Si vous souhaitez vous immerger dans des rôles sans compromission, que vous avez envie de défendre vos idées, de privilégier des films qui montrent une réalité sans filtre, il est important de connaitre cette forme de cinéma, proche du documentaire, où les acteurs ne se contentent pas d'interpréter leur rôle de façon classique.


Prenons l'exemple de John Cassavetes. Vous connaissez peut-être son nom, mais savez-vous quelle était sa méthode de travail ? Comment il parvenait à créer des films si intenses et authentiques ? Né à New York en 1929, dans une famille d'origine grecque. Il se passionne très tôt pour le théâtre et le cinéma, et suit des cours d'art dramatique à l'American Academy of Dramatic Arts. Il commence sa carrière comme acteur, d'abord au théâtre, puis à la télévision et au cinéma. Il se fait remarquer dans des séries comme Johnny Staccato, où il incarne un détective privé pianiste de jazz, ou dans des films comme Les Douze Salopards, où il joue un soldat condamné à mort, ou encore Rosemary's Baby. Mais c'est surtout comme réalisateur qu'il va laisser une trace essentielle dans l'histoire du cinéma.

En 1959, il réalise son premier film, Shadows, avec un budget dérisoire et une équipe composée d'amateurs et d'amis. Le film raconte l'histoire de trois frères et sœurs métis qui vivent à New York et qui cherchent leur place dans la société. Le film est tourné en noir et blanc, avec une caméra légère et une bande-son improvisée. Il n'y a pas de scénario écrit, mais seulement des situations que les acteurs développent au fur et à mesure du tournage. Le résultat est un film spontané, réaliste, émouvant, qui rompt avec les conventions hollywoodiennes.

C'est le début d'une carrière hors norme, qui va s'étaler sur trois décennies et donnera naissance à des chefs-d'œuvre comme Faces, Une femme sous influence, Opening Night ou Love Streams. John Cassavetes va construire son œuvre selon une méthode de travail qui place l'acteur au centre du processus de création. Il écrit lui-même ses scénarios qu'il soumet à ses acteurs lors de lectures collectives. Il accepte de modifier les dialogues en fonction des suggestions des interprètes, qu'il choisit souvent parmi ses proches, comme sa femme Gena Rowlands ou ses amis : Peter Falk ou Ben Gazzara.

Il tourne ensuite ses films dans l'ordre chronologique, sans imposer de déplacements aux acteurs sur le plateau. Il les laisse évoluer librement en les suivant avec sa caméra portée à l'épaule, multiplie les prises - parfois jusqu'à l'épuisement - afin de capter chaque moment de vérité. Bon nombre de ses films ont été tournés et montés à son domicile. Chez Cassavetes, le montage est un long processus étiré sur des mois entiers jusqu'à trouver l'équilibre satisfaisant. S'il n'est pas satisfait du résultat, il n'hésite pas à remonter un film après sa sortie,

Cete méthode de travail exigeante lui a permis de réaliser des films uniques. Tous explorent la complexité des relations humaines avec une profondeur et une sensibilité rares. Ses films sont souvent centrés sur des personnages en crise qui cherchent à s'affirmer, à aimer, à vivre pleinement. Ce sont aussi des portraits sans concession de la société américaine, de ses contradictions, de ses violences et de ses espoirs. Le style de Cassavetes pourrait se définir par une recherche permanente de liberté artistique, de créativité sans compromis. C'est ce que vous découvrirez dans ce reportage passionnant.




Parmi les réalisateurs qui m'auront le plus influencé, il y a naturellement Ken Loach. Vous connaissez certainement ce cinéaste britannique engagé qui dénonce, dans ses films, les injustices sociales et politiques de son pays. Il a notamment réalisé Raining Stones en 1993, Land and Freedom en 1995 ou Moi, Daniel Blake en 2016. Son cinéma se veut proche du documentaire, en utilisant des acteurs non professionnels ou peu connus. Chacun de ses films sont tournés dans des lieux réels, en adoptant une mise en scène discrète. Pour aborder ces rôles avec réalisme, les acteurs et actrices qui travaillent avec Loach ne connaîtront pas le scénario à l'avance, ni même le déroulement des scènes. Ils doivent se laisser surprendre par les événements : parfois provoqués par le réalisateur lui-même - il n'hésite pas à leur faire des blagues ou à leur cacher des informations. Bien souvent, ils s'adaptent au langage et à l'accent de leurs personnages en s'inspirant des habitants des quartiers où ils tournent. C'est ainsi que des comédiens comme Peter Mullan, Ian Hart ou Crissie Rock ont pu donner vie à des personnages attachants et inoubliables.

Ken Loach privilégie la "vérité de l'instant" ; c'est d'ailleurs en référence directe que j'ai gardé cette expression en sous-titre de mon ebook. Il cherche à capter la spontanéité de ses acteurs en les mettant dans des situations proches de la réalité sociale qu'il dénonce. Pour cela, il multipliera les indications secrètes, les répétitions minimales, la caméra à l'épaule, le montage rapide. Il s'entoure aussi d'une équipe fidèle, composée notamment du scénariste Paul Laverty, du monteur Jonathan Morris et de la productrice Rebecca O'Brien, qui partagent sa vision et son engagement.

Si vous voulez en savoir plus sur la méthode Ken Loach, je vous invite à regarder le documentaire interactif qui lui est consacré sur le site d'Arte : http://howtomakeakenloachfilm.com/fr.




Pour terminer, un mot sur Jean-Pierre et Luc Dardenne : comment arrivent-ils à créer ces films si réalistes et si touchants ? Ils écrivent ensemble leurs scénarios en partant d'une idée simple ou d'une image forte. Ils ne font pas de plan détaillé ni de dialogues écrits à l'avance. Ils préfèrent laisser une place à l'improvisation et à la découverte sur le plateau. La plupart des films sont tournés dans leur région natale : le bassin industriel liégeois et particulièrement la ville de Seraing. Leurs décors naturels, souvent délabrés ou abandonnés, reflètent la réalité sociale des personnages. Ils utilisent peu d'accessoires ou de costumes et privilégient la lumière naturelle, tout comme le son direct. Une caméra à l'épaule nerveuse suit au plus près les personnages : peu de plans fixes ou de travelling, encore moins de champ /contre-champs. Les Dardenne privilégient les plans séquence, qui donnent un sentiment d'urgence et d'immersion : avant tout, Ils veulent capter la vérité du moment présent. La confiance est le maitre mot dans le travail avec les acteurs : ils les dirigent avec douceur et exigence, leur laissant une grande liberté d'interprétation. Tous sont encouragés à exprimer leurs émotions sans retenue. Ils sont souvent filmés en gros plan ; ici la caméra s'attarde sur leur regard et leur visage.


Connus pour faire de nombreuses prise - parfois jusqu'à cinquante ou soixante pour une même scène -, les Frères cherchent à obtenir la meilleure interprétation possible, saisir l'inattendu ou l'accidentel. Ils montent ensuite leurs films en éliminant tout ce qui est superflu ou inutile.




Vous trouverez donc des points communs chez ses réalisateurs dans la façon de filmer la réalité. Cette liste n'est pas exhaustive : j'aurais pu également vous parler du cinéma de Maurice Pialat, Abdelatif Kechiche, et beaucoup d'autres, tout aussi captivants.


Parmi des films plus récents, dans une même veine, on peut également citer :


Roma (2018) d'Alfonso Cuarón, qui suit le quotidien d'une femme de ménage dans le

Mexico des années 1970.


Moonlight (2016) de Barry Jenkins : l'histoire d'un jeune homme afro-

américain grandissant à Miami et faisant face à des difficultés familiales, sociales et

sexuelles.


Les Misérables (2019) de Ladj Ly, dépeint le quotidien d'une brigade de police dans une

banlieue parisienne en proie à la violence et aux tensions sociales.


Le Fils de Saul (2015) de László Nemes, raconte l'histoire d'un prisonnier juif

travaillant dans les chambres à gaz d'Auschwitz pendant la Seconde Guerre mondiale.


120 battements par minute (2017) de Robin Campillo, retrace le parcours d'un groupe

d'activistes luttant contre l'épidémie de VIH/sida en France, dans les années 1990.


Comment se préparer à un rôle avec une exigence de réalisme ?


Quelle est la méthode de travail à adopter pour incarner l'un de ces personnages et lui donner vie à l'écran ?


La première étape est de parfaitement connaître le scénario, la scène (s'il s'agit d'un casting) et le contexte dans lequel évolue votre personnage. Il est nécessaire de comprendre ses motivations, ses émotions, ses relations, ses conflits, ses obstacles. Vous devez vous approprier le texte en y apportant votre sensibilité et votre personnalité. Cela passe également par des recherches sur le genre du film, l'époque, le lieu, la culture, le métier ou la situation de votre personnage, afin de vous imprégner de son univers. Pour cela, vous devrez regarder un certain nombre de films ou de documentaires, aller sur le terrain, rencontrer les gens d'un quartier ou des professionnels.

Ensuite, il faudra travailler votre corps et votre voix : trouver la posture, les gestes, les expressions, les intonations, les accents, les rythmes qui correspondent à votre personnage. Vous devrez être capable de vous adapter aux différentes situations et à vos partenaires sur le plateau. Savoir également utiliser votre énergie, car vous serez amené à aller loin, particulièrement avec un réalisateur qui travaille sur l'épuisement. Il s'agit de ne pas surjouer ni sous-jouer, mais de trouver le juste milieu entre la maîtrise et l'émotion. Il faudra vous immerger dans votre personnage tout en gardant une certaine distance critique ; être réactif aux imprévus et aux propositions des autres acteurs ou du réalisateur.



La vidéo : un outil de travail au service de votre vérité


A titre personnel, je répète toujours en vidéo sur chaque film. On peut ainsi vérifier si les mouvements des acteurs sont fluides, si les expressions du visage sont adaptées, ou si les angles de vue sont bons, Ca permet de donner un feedback immédiat aux acteurs. En visionnant les images, on montre, dans le feu de l'action, ce qui fonctionne bien et ce qui peut être amélioré. C'est une aide précieuse pour se corriger et gagner en confiance. La caméra vidéo permet de garder une trace des répétitions ; la meilleure façon de comparer l'évolution d'un rôle au fil des séances et mesurer les progrès. Il y a aussi l'avantage de libérer une charge psychologique au moment du tournage : on s'y rend en sachant exactement ce qu'il y a à faire.

Dans votre préparation d'acteur, vous pouvez utiliser la vidéo, seul. C'est un outil de recherche précieux. Il vous permettra d'amener au réalisateur des propositions justes.


Si vous souhaitez en savoir plus ou mettre en pratique votre envie d'aller vers ce cinéma, vous pouvez participer à ma formation : créer un personnage avec réalisme.


Le réalisme à l'écran demande beaucoup de travail, de rigueur, et d'humilité. Mais c'est aussi une expérience enrichissante et stimulante.

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