Ruthy Devauchel : la comédie en liberté
- Christophe Mené
- il y a 4 jours
- 7 min de lecture

Chaleureuse et infatigable, Ruthy Devauchel sillonne les routes de France avec ses spectacles et son one-woman-show. Elle nous ouvre les coulisses d’un parcours porté par l’amour de la scène.
Comment tout a commencé ? Dès son plus jeune âge, Ruthy a découvert le théâtre à la télévision, devant les comédies du Splendid. Le brio de Thierry Lhermitte, de Josiane Balasko, de Christian Clavier & Cie lui a communiqué le plaisir palpable de jouer. Ce fut le déclic. « J’ai su que je voulais monter sur scène, à ce moment-là. Il n'y avait pas de doute. »
J’ai rencontré Ruthy Devauchel à la fin des années 90, à l’école d’acteurs Côté Cour. Elle n’avait pas vingt ans, mais déjà une détermination à toute épreuve. Formée au théâtre par Christine Soldevila et Jean-Baptiste Berthon, je lui ai fait découvrir le jeu face à la caméra et garde un vif souvenir vif de cette période. Ruthy était à l'aise, aussi bien sur les planches que face à l'objectif ; elle apprenait vite, jouait juste, s’investissait sans réserve. Elle connaissait ses textes au cordeau, improvisait, passait d’un registre à l’autre avec un plaisir du jeu que peu d’actrices possèdent à cet âge. Ensemble, nous avons exploré le drame social, le thriller, la comédie. Elle entrait dans chaque genre, toujours à l’écoute de mes souhaits de réalisme, sans jamais perdre sa singularité. Cette complicité de travail annonçait déjà ce qu’elle allait devenir : une artiste capable de tracer sa route sans attendre qu’on lui ouvre les portes. Souvent, je répétais aux acteurs : "l’autonomie n’est pas une option, mais une condition de survie." Ruthy l’a compris très tôt.
Pour ses débuts sur scène, elle s’est imprégnée d’univers aussi variés que ceux de Jamel Debbouze, Éric et Ramzy ou Marthe Mercadier, et s'est lancée, prête à voler de ses propres ailes. Dès le départ, elle a trouvé un style à sa sauce : un mélange entre stand-up, café-théâtre et comédie de mœurs.
Très vite, Ruthy a fondé sa compagnie, Les K, où elle a créé et interprété Le Célibat par intermittence, Le Misanthrope, Dom Juan, Le Temps des copains, Le Malade Imaginaire. En 2006, elle a obtenu un BTS audiovisuel en gestion de production avant de devenir présidente de l’association La Paire Hier Demain, à l’origine du festival De la rue à la scène, qui vise à faire circuler le théâtre dans les zones rurales.

À pleine vitesse sur les routes du rire
Depuis 2017, Ruthy Devauchel partage une complicité artistique et personnelle avec Patrick Hernandez, auteur à succès, dont elle interprétera les pièces : Mars et Vénus, la guerre des sex, Pourquoi les femmes aiment les connards ? Jamais le deuxième soir, et bien d'autres. Ces spectacles, représentés à Paris et en tournée à travers la France, sont salués pour leur capacité à mêler comédie et réflexion sur les comportements amoureux contemporains. En parallèle, elle joue également d'autres textes comiques, comme Toc Toc de Laurent Baffie.
Il y a quelques mois, nous nous sommes retrouvés sur Facebook, après de longues années sans se voir. Je rédigeais alors Secrets de Comédie, et il m’a semblé évident de lui proposer d’y contribuer. Un simple échange de messages a suffi à faire renaître notre complicité d’autrefois. Ruthy m’a accordé un témoignage précieux sur sa méthode de travail, ses doutes, sa solitude parfois, mais aussi sur l’amour de la scène qui lui permet de tout surmonter. Vous découvrirez, sous la forme d'une interview, comment elle apprend une pièce en quelques jours, mobilisant toutes ses mémoires — visuelle, auditive, corporelle, et comment elle perfectionne ses spectacles, au fil des représentations, les réinventant chaque soir.
La Bonne Copine : une héroïne sans filtre
Quelques semaines plus tard, nous nous retrouvons dans un café à Montparnasse, avec l’objectif de concevoir cet article de blog. Autour d'un verre, nous discutons longuement de son one woman show : La Bonne Copine qui occupe une place à part. Ce texte, elle l'a écrit entièrement seule. C’est son travail le plus intime, le plus personnel, celui où elle expose sans filtre ses contradictions, ses excès, ses colères et ses tendresses. Le spectacle est né dans un moment de rupture : le confinement. Privée de scène, Ruthy a publié des sketches sur YouTube. Peu à peu, l’idée germe de les relier, de les tisser ensemble, d’en faire un tout. Elle construit alors un spectacle à son image : sincère et irrésistiblement drôle. La Bonne Copine, c’est cette amie que tout le monde a, ou rêve d’avoir — celle qui vous comprend sans juger, qui rit plus fort que vous, qui boit à votre place, qui écoute mieux qu’un psy, mais qui, derrière les punchlines, révèle des failles bien réelles. Elle y interprète une femme trop vraie pour les conventions : lucide, excessive, tendre, cash.
Ruthy habite cette femme, elle la porte à bout de voix et de souffle, avec une générosité de tous les instants. Le texte, loin d’être figé, évolue à chaque représentation. Si un passage fonctionne moins, elle le retravaille sans attendre. Elle coupe, réécrit, ajoute une vanne, un silence, un regard. Un sketch sur le refus de maternité, par exemple, a d’abord suscité des tensions. La salle bloquait et le rire se figeait. Mais plutôt que de renoncer. Elle a décortiqué chaque mot, repensé le rythme, trouvé un ton plus juste, si bien qu'aujourd’hui, ce moment suscite à la fois le rire et la réflexion. Ce va-et-vient entre frontalité et fragilité, entre provocation et tendresse, vous le trouverez en allant voir La Bonne Copine. Un spectacle qui fait du bien, parce qu’il ose nommer les choses. Ruthy s’y révèle drôle et libre comme jamais.
Créer, produire, jouer : une seule et même énergie
Aujourd’hui, Ruthy enchaîne les représentations de cinq spectacles en alternance, sans parler de La Bonne Copine. Chaque soir, elle répète ses rituels : échauffement, maquillage, recentrage, et cela se voit sur scène.
Ruthy met en scène ses spectacles avec une exigence tranquille, nourrie d’instinct, et d’une connaissance profonde de la scène. Lorsqu’elle se lance dans une création, elle commence toujours par un travail solitaire et minutieux. Cela passe par une parfaite maîtrise de ses textes. Elle lit, relit, enregistre les voix de ses partenaires sur son téléphone, répète mentalement en se promenant ou en cuisinant, jusqu’à ce que le texte s’imprime au point de pouvoir l’oublier. Cette maîtrise technique lui permet ensuite de libérer le jeu. L’humour, chez cette comédienne exigeante, ne supporte ni la mécanique ni le faux-semblant : tout doit partir de la vérité de la situation. Même lorsqu’elle joue seule, comme dans son one woman show, elle travaille avec la même énergie de troupe. Elle imagine les regards, les réactions du public, se prépare à la seconde près mais laisse toujours une place à l’improvisation, car pour elle, le public est un partenaire à part entière.
En amont, la production tient une place essentielle dans sa préparation : la lumière, la communication, les contraintes techniques. Chez Ruthy, rien n’est laissé au hasard et cette tension entre rigueur et spontanéité donne à ses mises en scène leur justesse. Organiser une tournée, relève d’un véritable talent d’équilibriste, où se mêlent stratégie et anticipation. Ruthy Devauchel ne se contente pas de jouer : elle planifie, négocie, coordonne, le tout avec une vision claire de l'objectif final. Longtemps, elle a contacté seule les directeurs de salles, ajustant son calendrier en fonction des disponibilités et des opportunités. Aujourd’hui, ce sont souvent les programmateurs qui la contactent, mais elle garde la main sur l’ensemble de l’organisation — veille à regrouper les dates par région pour limiter les déplacements et préserver son énergie.
Sa logistique est pensée pour être souple et efficace : décor transportable, fiches techniques optimisées, disponibilité immédiate. Lorsqu’elle joue plusieurs spectacles en alternance — ce qui arrive fréquemment — adapte sa préparation physique et mentale en fonction de chaque rôle, enchaînant parfois deux pièces différentes dans la même journée. Ruthy jongle avec les costumes, les registres, les textes, sans jamais perdre le fil. Cette capacité à tout gérer, du planning à la représentation, témoigne d’un professionnalisme rare. Et si elle avoue n’avoir pas encore trouvé la formule idéale pour ménager des périodes de repos, elle garde l’envie d’évoluer, d’ajuster son tempo, tout en continuant à faire vivre ses créations là où le public l’attend. Pour cette marathonienne, une tournée n’est pas un simple enchaînement de dates, mais un engagement total.
Ruthy est sa propre productrice, programmatrice, community manager. Elle a également appris à organiser sa communication de manière plus stratégique : «Avant, je faisais la promotion de chaque spectacle séparément. Aujourd’hui, je regroupe tout sur une seule page : c’est plus clair, plus efficace. » Lorsqu' un nouveau comédien intègre l'un de ses spectacles, elle adapte son accompagnement, guide ses partenaires avec bienveillance, mais sans concessions, attentive à la précision des intentions, à la fluidité des déplacements, au rythme du texte.
À la fin de notre entretien, alors que je l'interroge sur une activité dont elle parle peu : l'animation d'un atelier pour adultes handicapés, Ruthy me tend son téléphone et me montre une courte vidéo. On y voit des visages attentifs, des gestes esquissés, des rires et une joie brute. À mi-voix, elle commente pudiquement, comme si cette activité-là disait autant que tous ses spectacles. Le jeu, chez elle, ne s’arrête pas au plateau : dans cette salle, loin des projecteurs, il change réellement des vies. Ruthy Devauchel fait partie de ces comédiennes dont la trajectoire nous rappelle pourquoi on aime tant ce métier, malgré sa difficulté. Parce qu’il permet de créer un lien indélébile avec les autres.
Quant à l’avenir, il y a l’envie d'explorer de nouveaux rôles, d'aller vers la caméra aussi.
À peine en parle-t-elle que l’on sent que c’est déjà en marche.
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