Le moment tant attendu de réaliser votre premier court-métrage arrive. Que vous soyez débutant ou virtuose de la technique, se retrouver face à un acteur ne s’improvise pas, Voici quelques infos pratiques à retenir avant votre tournage.
Parler le même langage
Pour un réalisateur novice, l'aventure d'un premier film est souvent une course d'obstacles. Le plus difficile n'arrive pas toujours là où on le pense. Partir à la recherche de fonds, réunir urne équipe technique, acquérir une crédibilité, en tant que capitaine du navire, demande déjà un bel investissement. Mais quand vient le moment de passer à la pratique, à savoir : organiser un casting et choisir ses acteurs, il serait faux de penser que le plus dur est fait. Bien souvent, c'est là que les problèmes commencent.
Je n’aime pas l’expression « direction d’acteurs », préférant l’idée d'une collaboration où l’on cherche ensemble. Les propositions de vos comédiens apporteront beaucoup au film. Ils sont sensés connaitre les personnages mieux que vous. Lors d'une première répétition, sans expérience, vous avez toutes les chances de donner des explications vagues ; des généralités sur le scénario qui n'aideront personne. Ou, à l'inverse, de partir dans un flots de détails inutiles - ce qui entrainera vos interprètes dans un labyrinthe où ils risquent de se perdre. Dans un cas comme dans l'autre, ce sera compliqué. Avant tout, un acteur a besoin de capter votre vision du personnage, s'appuyer sur un enjeu clair et d'avoir des indications concrètes. Il faudra passer par plusieurs tournages pour vous perfectionner dans cette communication particulière.
Durant sa formation, un acteur aura appris à construire un personnage Bien souvent, il sera passé par la Méthode Stanislavski : tout un processus psychique et physique d'où il puisera une vérité, De ce background théorique, le réalisateur doit connaitre quelques notions. Cela veut dire, savoir ce qui se passe dans la tête de votre comédien avant de lui donner des directives. Il est donc conseillé de se plonger dans les principaux ouvrages sur la technique de l'acteur. En plus de Stanislavski, on peut citer Michel Chekhov ou Ivanna Chubbuck. Vous trouverez dans ce blog une sélection de livres qui seront fort utiles.
C'est à partir du moment où vous parlerez le même langage que la collaboration pourra réellement commencer. Tout d'abord, prenez le temps de retracer le parcours du personnage. Décrivez le comme une personne réelle et retracez son itinéraire :
- Origines sociales (milieu aisé, middle class ou dans la précarité).
- Problème particulier rencontré dans sa jeunesse : un deuil, un divorce, un drame ou, au contraire, une jeunesse heureuse auront une incidence sur son comportement dans certaines séquences du scénario.
- Situation scolaire et professionnelle.
- Vie affective.
- Traits de caractère dominants (les bons, comme les mauvais.)
- De quelle façon a-t-il rencontré les autres personnages - alliés ou adversaires ?
- Comment en est-il arrivé là au moment où l'histoire commence ?
- Quel est son objectif ?
Cette étape préliminaire aidera toujours un acteur à se faire sa cuisine personnelle. Il pourra y mettre de son propre vécu. En procédant de cette façon, il y a toutes les chances qu’il arrive en répétition avec des propositions solides.
Trop souvent, un réalisateur débutant fera confiance à son interprète, persuadé qu'il sait faire, "que c'est lui l'acteur". Cela revient à le laisser s'autodiriger, ce qui peut être frustrant même s'il est expérimenté. Tout bon film repose sur le regard du réalisateur et il y a trente six façons de régler une scène. Sans indications rigoureuses, on peut obtenir un résultat qui desservira le film : surjeu, dialogues trop articulés, mauvais timing de la scène et j'en passe. À plusieurs reprises, il m'est arrivé de voir des court-métrages où le réalisateur s'était donné un mal fou pour obtenir une équipe et des moyens. Malheureusement, au final, le résultat était gâché par une direction d'acteur hasardeuse. Mais il n'y a pas de de fatalité, avec une préparation de chaque personnage en amont, bien des problèmes seront évités.
Répétitions filmées avant le tournage
Il est indispensable de répéter les scènes importantes plusieurs semaines avant le tournage. Peu importe que ce soit avec un simple smartphone ou une petite caméra. C'est là où vous pourrez tester tout ce qui vous parait important. Mieux vaut le faire dans le cadre de séances d'essai que face à une équipe de tournage où vous aurez une pression énorme sur les épaules. Moments de solitude garantis, si vos idées ne fonctionnent pas.
En répétition, vous serez immédiatement confronté à des problèmes de scénario. C’est donc le moment idéal pour rectifier le tir. Si nécessaire, n’hésitez à réduire des dialogues, rendez-le plus percutant en privilégiant des répliques plus courtes ou en suppriment des dialogues inutiles. Savoir couper est une qualité pour un auteur. Rien de pire que de longues tirades explicatives. Ecrire pour le cinéma n'a rien à voir avec le théâtre ou la littérature. Ne dites que l'essentiel ; des informations qui font avancer l'intrigue.
Réussir une séquence, ça n’est pas la filmer à la lettre telle qu'elle est écrite. Il y a le danger de la rendre trop mécanique ou figée. Possibilité de tout revoir en improvisation. Partez de votre texte, demandez à vos acteurs de le dire à leur façon et filmez. Faites-en le documentaire de votre scénario. Dans le feu de l’action, des comédiens inventifs vous apporteront une spontanéité qu’un scénariste n’aura pas forcément derrière son clavier. Ensuite, visionnez à tête reposée. Vous pourrez réutiliser les meilleures trouvailles, faire un mix entre les dialogues improvisés et vos propres répliques. C’est vraiment à cette étape que le film se crée, en boostant le scénario. Vous aurez entre les mains une version de votre texte optimisée, prête à tourner.
En répétition, on règle les trajets et les placements de chacun pour le cadre. Mais le plus important est d’amener de l'inattendu. C’est la raison pour laquelle, je commence toujours en demandant aux acteurs de me montrer de quelle façon ils voient la scène, leur laissant une liberté totale. Très vite, je repère ce qui fonctionne ou non. À partir de là, je garde les bonnes propositions tout en suivant ma ligne directrice. Par principe, ne figez pas la séquence avant de la tourner. Si vous voulez de la spontanéité, parlez à chacun de vos acteurs à part, donnez- leur des indication secrètes. Rien de plus excitant que de dynamiter ce qui était réglé sur le papier. Soyez sûr qu'il se passera quelque chose de vrai, ensuite. Votre objectif en tant que réalisateur : obtenir des images qui surprennent et que l'émotion ne soit jamais surjouée.
Quel réalisateur êtes-vous ?
Il n’y a pas qu’une seule façon de diriger, on peut distinguer trois techniques bien distinctes :
La méthode directive
Vous avez besoin du contrôle total sur votre film. À l’aide d’un storyboard, vous donnez les indications d’entrée et de sortie de cadre. Les placements sont réglés au millimètre. Vous décidez de chaque intonation et du moindre battement de cil. Dans ce cinéma, l’imprévu n’existe pas, vous ferez un nombre incalculable de prises pour atteindre votre idée de la perfection.
Le regard vissé au combo, vous ne laisserez pas de place aux propositions. Vous considèrerez l’acteur comme, un instrumentiste qui est là interpréter sa partition et chercherez à obtenir exactement ce que vous avez conçu dans votre découpage. Hors de question de changer une virgule, le texte doit être respecté religieusement. Ici, l’improvisation n’a pas sa place. Parmi les réalisateurs maniaques du contrôle, on peut citer Bertrand Blier, par exemple.
La méthode soustractive
Vous faites répéter vos acteurs avec neutralité, comme s’ils récitaient les Pages Jaunes. L’intériorité compte avant tout, vous gommez ce qui serait artificiel à l’image ; pas de gestes parasites. Dans ce cinéma, les acteurs en font le moins possible. Vous n’hésitez jamais à supprimer des dialogues, les remplaçant par un silence ou un plan de regard. Vous connaissez le pouvoir de la caméra, savez filmer les paysages, les villes, vous jouez avec les flous et les ambiances sophistiquées. Vous étirez la longueur des plans au risque de dérouter le spectateur, mais c’est quand rien ne se passe que tout se dit. Les moments de crises sont d’autant plus spectaculaires qu’inattendus Vous avez pour modèle un cinéma radical et inventif. On pense ici à la beauté envoutante des films de Wong Kar Waï.
Le choix de la liberté
Au départ, vous donnez peu d’indications et laissez vos acteurs amener leur propre vision de la scène. La caméra doit s’adapter à eux et non le contraire. Le plus souvent, elle est portée à l’épaule, passe d’un personnage à l’autre, zoome, en perpétuelle recherche de l’accident miraculeux. Votre seul désir est de capter l’instant. Un acteur qui bafouille vous réjouira. À la façon d’un documentariste, vous filmez le réel tel qu’il apparait sous vos yeux. Votre scénario se limite à une simple trame. Vous ne le communiquerez pas à vos comédiens : ils auront des informations sur le tournage ou des bribes de dialogues soufflées à l’oreille. Vous maitrisez l’improvisation pour en tirer le meilleur. Ce qui vous intéresse, c'est la vie et rien d’autre. On pense alors à un cinéaste comme Abdelatif Kechiche et bien d’autres, de la même veine.
Chaque méthode a ses avantages et ses limites, c’est toujours le film qui imposera votre façon de diriger.
Les mots utiles
C’est le moment de travailler une scène. N’employez pas des mots qui ne servent à rien, du style : « Fais-le au feeling », « Sois naturel », ou encore « Amuse-toi ». Un acteur a besoin qu’on dise clairement ce que l’on attend de lui. Par conséquent, vous devez indiquer des actions précises : "Pose le verre à cet endroit, sors de la pièce plus vite, laisse exploser ta colère sur cette réplique, puis pars en claquant la porte", etc. Soyez extrêmement concret dans le choix de vos indications. Au lieu de dire dans une situation de rupture : « Tu vas mal. », suggérez plutôt : « Tu viens d’être abandonné par la seule femme qui comptait dans ta vie. » C'est en communiquant un sentiment universel que vous serez immédiatement compris.
Évitez aussi de noyer un acteur sous un flot d’informations. Il risque de s’y perdre, son énergie baissera et vous n’obtiendrez pas la prise que vous souhaitez. Privilégiez les indications concernant le rythme et les actions. Si vous refaites dix fois le même plan, trouvez une indication spécifique à chaque fois, quelque chose de simple mais suffisamment percutant pour obtenir une vraie différence avec le plan d’avant.
L'objectif de votre premier tournage sera d’obtenir la justesse de vos acteurs à chaque prise. Ensuite, de film en film, vous trouverez votre propre méthode de travail.
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