Que vous soyez débutant ou professionnel, il est probable que vous soyez tombé dans un piège commun lors d’un tournage ou d’une audition. Cette erreur insidieuse, mais dévastatrice, limite non seulement la qualité de votre jeu, mais peut également laisser une mauvaise impression sur un réalisateur ou un directeur de casting. Alors, de quoi s’agit-il ?
Nous parlons ici de l’hyperconscience de soi — autrement dit : se regarder jouer —, c’est un état mental où l’acteur devient obsédé par son apparence, ses gestes, sa voix : il oublie complètement de vivre son personnage. Face à une caméra, il est tentant de devenir son propre spectateur et de s’auto-analyser. Résultat, votre jeu devient mécanique, prévisible et déconnecté.
Mais pourquoi cette erreur est-elle si répandue, et comment l’éviter ?
Comprendre le piège
Lorsque vous êtes sur un plateau, entouré de caméras, d’éclairages et d’une équipe technique attentive au moindre détail, il est naturel de devenir un peu trop conscient de vous-même. Vous commencez à vous demander : « Est-ce que je joue bien ? Est-ce que je suis à mon meilleur angle ? Est-ce que mon regard est juste ? » L’hyperconscience de soi vous pousse à vous regarder « agir » au lieu de vivre véritablement l’instant présent. Vous vous concentrez sur l’aspect technique plutôt que sur les émotions réelles de votre personnage. Et c’est là que le piège se referme. Vous livrez à un numéro artificiel sans forcément vous en rendre compte. Ne soyez donc pas surpris si le réalisateur vous interrompt, multiplie les prises et perd la confiance qu’il avait mise en vous.
Contrairement au théâtre, où chaque geste doit être plus ample pour atteindre le dernier rang, la caméra capte les moindres détails. Une micro-expression peut traduire toute une émotion. Mais lorsque vous êtes trop préoccupé par votre image, la connexion n’agit plus.
Pourquoi cette erreur est si courante ?
Il ne s’agit pas simplement d’une question de technique d’acteur. C’est un problème profondément ancré dans la société actuelle. Nous vivons dans une ère où l’apparence et l’image sont omniprésentes. Les réseaux sociaux, les selfies, les auditions filmées... tout cela contribue à renforcer l’idée que nous devons constamment être conscients de l’image que nous projetons.
Dans l’univers compétitif du cinéma et de la télévision, où le visuel compte presque autant que le talent, cette hyperconscience est accentuée. Il n’est donc pas étonnant que de nombreux comédiens tombent dans ce travers.
Voici quelques problèmes qui peuvent en découler :
Trop d’attention sur l'apparence : au lieu de se concentrer sur la scène, l’acteur pense à la manière dont il sera perçu. Il se demande constamment si ses gestes sont élégants ou si son regard est convaincant.
Manque de connexion avec le partenaire : lorsque vous êtes trop préoccupé par vous-même, vous perdez la complicité avec les autres comédiens. La scène devient un monologue intérieur plutôt qu’un échange.
Répétition mécanique des actions : au lieu de laisser les émotions du moment guider vos actions, vous adoptez une série de gestes ou de tics que vous répétez de manière automatique.
Manque de communication avec l’équipe technique : certains acteurs pensent que leur seule responsabilité est de jouer, négligeant l’importance de la collaboration avec les techniciens. Cela peut créer des tensions sur le plateau, notamment lorsque l’on exécute mal les demandes du réalisateur ou que l’on ignore les conseils liés à l’éclairage ou aux modulations de la voix. Prenons un autre exemple : en tournage, il est essentiel de savoir où se trouve la caméra et de se déplacer en fonction des marques au sol (les « repères » indiqués par les techniciens). Si vous ignorez ces marques, cela compliquera le travail de l’équipe ou gâchera une scène.
Jouer avec des « tics » ou des habitudes inconscientes, comme passer constamment la main dans les cheveux, cligner des yeux, ou avoir un sourire nerveux. Ces comportements involontaires parasitent le jeu dès les premières répétitions.
Ne pas s’adapter au rythme des prises : un comédien peut être bon lors de la première prise, puis perdre en énergie ou en naturel pendant les suivantes. Cela peut poser problème dans le montage final, faute d’une cohérence entre les différentes tentatives.
Comment y remédier ?
Se concentrer sur le personnage, pas sur soi
Si vous vous sentez prisonnier de cette hyperconscience, il est temps de prendre les choses en main. Ce sera nécessaire de renforcer votre travail personnel, seul ou avec un coach. Il faudra vous observer régulièrement sur un écran, de manière à venir à bout du problème, ou à adopter d’autres comportements qui seront en phase avec votre personnage
Chaque fois que vous vous surprenez à penser à vous-même, recentrez votre attention sur vos émotions et vos objectifs. Plus vous serez concentré sur ce que le personnage doit accomplir dans la scène, moins vous vous préoccuperez de votre apparence. Avant le clap, ne songez uniquement à : « Qu’est-ce que je veux obtenir ? Quel est mon but dans cette scène ? »
Travailler en profondeur la préparation émotionnelle
Cela suppose d’investir du temps pour comprendre votre personnage au plus profond de lui-même. Vous devez être en phase avec ses émotions et vous les approprier. Cela vous permettra de réagir naturellement, plutôt que de jouer une action prédéfinie. Par exemple, si le scénario indique qu'il est furieux, ne vous contentez pas de fabriquer une colère de surface. Demandez-vous ce qui déclenche un tel état. Est-ce un sentiment de trahison, une blessure d’enfance, ou une frustration accumulée ? Reliez ces sentiments à des expériences personnelles ou imaginaires, pour rendre ce moment de crise réaliste.
Des techniques comme le travail sensoriel peuvent être très utiles. Vous plongerez dans des souvenirs ou des sensations physiques qui résonnent avec ce que vit votre personnage. En vous connectant à cette réalité et en la mémorisant, pendant la préparation, vous arriverez au tournage dans un état d'esprit sincère.
Si vous avez du mal à refaire plusieurs fois la même prise, répétez avec acharnement afin de « fixer » votre jeu en prenant des repères à un endroit précis du texte et en mémorisant vos actions. De cette façon, il n’y aura pas de différence importante d'une prise à une autre.
Ne l’oubliez pas : certains réalisateurs sont adeptes d’un style de tournage où ils cherchent une vérité immédiate, tandis que d’autres recommenceront dix fois, vingt fois, ou plus, jusqu’à pousser un acteur vers l’épuisement : ils estiment que c'est là où il donnera le meilleur de lui-même. Vous devez donc connaître, au préalable, la méthode de travail de celui avec qui vous tournez et vous y préparer.
L’un des obstacles majeurs au lâcher-prise vient aussi de la peur du jugement. Vous devez être prêt à vous abandonner totalement, pendant une scène, sans craindre de paraître vulnérable ou imparfait. Dans les plus situations les plus impressionnantes, certains acteurs n’hésitent pas à s'aventurer vers l'inconnu. Cela implique de prendre des risques, de ne pas avoir peur de se laisser submerger par des sentiments intimes ni de se mettre à nu devant la caméra. Vous serez obligé de quitter votre "zone de confort".
En tant qu’acteur, vous devez vous autoriser de légères imperfections, des moments de doute, des « accidents ». C’est précisément ce qui rend votre jeu humain et personnel. Les émotions ne se vivent pas uniquement dans l’esprit, elles doivent se manifester sur le plan physique. Chacune a un impact sur votre voix et vos mouvements. Par exemple, lorsque vous jouez la peur, comment cela affecte-t-il votre respiration ? Vos muscles se tendent-ils ? Adoptez-vous une position de défense ? Prenez le temps d’explorer ce que votre corps exprime ; voilà ce qui doit vous préoccuper.
Travailler les nuances et la précision : en gros plan, un simple regard peut traduire un sentiment que les mots ne sauraient décrire. Les acteurs qui surjouent ratent l’opportunité d’explorer cette richesse, certainement par crainte de ne pas donner assez. Une réaction légère, un souffle, un geste minime peuvent avoir un impact important à l’écran. En vous fixant également cet objectif de travail, vous ne songerez plus à vous regarder jouer.
Quelques exemples :
Afin de mieux saisir la complexité de ce problème, voyons comment de grands comédiens ont évité des erreurs similaires :
Robert De Niro est connu pour sa capacité à rester connecté à ses partenaires. Dans Taxi Driver (1976), l’une des scènes les plus mémorables est celle où il répète face au miroir : « You talkin' to me? ». Ce moment aurait pu tomber dans le surjeu, mais il a su rester à l’écoute de lui-même, ce qui renforce l’impact de son interprétation. Sa méthode est d’écouter activement ses partenaires, cela optimise sa concentration lorsqu’il doit prononcer un long monologue. Cela lui a permis de garder une authenticité rare, même quand il est seul à l’écran.
Daniel Day-Lewis travaille en immersion totale chaque personnage. Dans There Will Be Blood (2007), il incarne Daniel Plainview, un homme d’affaires sans scrupules. Il a évité de se reposer uniquement sur des émotions brutales et exagérées. Il s’est concentré sur le contrôle de ses gestes en maintenant une tension interne qui explose subtilement au fil du film. Dans une scène clé, il affronte son fils adoptif devenu adulte ; au lieu de montrer une rage immédiate, il laisse la colère monter lentement.
Dans Le Parrain (1972), Al Pacino, jouant Michael Corleone, a, lui aussi, contourné l’erreur classique d’exprimer trop d’émotions extérieures lors des scènes de confrontation. Quand il décide de tuer Sollozzo et McCluskey, il reste parfaitement calme et contenu, ce qui contraste avec la dangerosité de la séquence. Ce contrôle minutieux rend la tension presque insupportable pour le spectateur. Il savait que, face à la caméra, il devrait afficher une forme de neutralité. Cela lui a permis d'enrichir son personnage sans tomber dans des clichés dramatiques.
Isabelle Huppert a souvent travaillé des rôles perturbants. Dans La Pianiste (2001), elle interprète un personnage froid, rigide, et tourmenté. Elle a adopté une approche maitrisée et glaçante. Lorsqu’elle entre en conflit avec sa mère, sa violence nous surprend. Elle explose avec très peu de mots et une gestuelle contenue, ce qui accroît davantage la dureté de son rôle.
En conclusion
Depuis des années, je suis confronté à cette question d’hyperconscience de soi. Je l’ai remarquée chez de nombreux acteurs, et ensemble, nous y avons travaillé afin de dépasser ce problème. Si cela vous concerne, vous pouvez rejoindre, sur ce site, l’offre ciné + ou séances à la carte. Pour que le public puisse vivre une histoire à travers vous. il est donc impératif de se débarrasser du contrôle, de l’obsession de l’image et de vous plonger totalement dans votre rôle. Jouer est un acte d’abandon : dès que vous connectez entièrement à l’instant, la magie opère.
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